Lucy Matthews [U.C]

Nous étions le 13 mai 1987. Mary était assise depuis déjà quelques heures sur un banc, juste en face de l’épicerie dans laquelle était entré son père et attendait qu’il revienne. Il lui avait dit d’attendre ici, c’est vrai, mais elle commençait vraiment à s’impatienter et elle avait déjà eut le temps de terminer son livre. Non, elle resterait là, jusqu’à ce qu’il revienne. Elle attendrait, toute la nuit s’il le fallait mais elle ne bougerait pas, non. Il était dix-huit heures. Mary observa les alentours avec une grande attention. De chaque côté d’elle, se trouvaient des bancs, identiques à celui sur lequel elle était assise. Blancs, légèrement abîmés mais neufs, ça se voyaient. En face, l’épicerie était simple, en bois vert foncé. Devant se trouvaient des fruits et des légumes et un homme qui se trouvait à l’entrée en attendant les clients. Derrière elle, il y avait un parc, tel celui où elle allait alors qu’elle avait 6 ans… Tout de suite, à la vue de ce parc si fleuri, où s’amusaient tellement d’enfants, elle détourna les yeux. Depuis ses 6 ans, elle n’était jamais retournée jouer dans un parc. Depuis la mort de sa mère… Depuis la mort de sa mère dans cet endroit qu’elle jugeait désormais froid et morbide. Elle chassa cette pensée de sa tête et reposa son regard sur l’épicerie où son père faisait les courses. Son regard bleu clair, profond, expressif, doux… Son regard de jeune fille de 14 ans… Mais pourquoi attendait-elle ici ? Quelle idée de laisser sa propre fille, toujours pas majeure, seule, sur le trottoir d’en face, de l’obliger à attendre une personne qui ne revenait pas. Pourquoi aujourd’hui n’avait-elle pas eut le droit de rentrer avec lui ? Que faisait-il là ? Mais pourquoi ne partait-elle pas, bon sang ?! Elle attendit encore un quart d’heure puis, elle s’énerva. Elle se leva d’un bond, prit son sac avec elle et traversa la petite route en manquant à plusieurs reprise de se faire renverser et sous les acclamations des klaxons des voitures. Arrivée devant l’homme qui se trouvait devant l’entrée, elle s’arrêta et lui demanda aimablement l’autorisation de passer. Mais la jeune fille était loin de se douter que ce dernier lui répondrait en hochant secouant la tête en guise de dénégation. Alors comme ça, elle ne passerait pas ? En elle montait une terrible colère. Plusieurs possibilités s’offraient à elle : utiliser la force ? Inutile, il était surement plus fort qu’elle, même si elle était très sportive. Insister ? Non plus. Vu la manière dont il lui avait interdit le passage, il ne reviendrait pas sur sa position. Attendre, encore ? Elle n’en pouvait plus ! Eh bien partir, alors. C’est ce qu’elle fit en se disant qu’elle pourrait bien laisser un message à son père une fois arrivée chez elle.

Fille unique, ce n’est pas facile. Surtout quand vous rentrez seule, chez vous, dans un grand appartement spacieux mais vide… Enfin presque vide. Non bon, d’accord, un appartement meublé mais tellement grand qu’il paraissait ne rien y avoir. Elle n’était pas d’humeur à regarder la télévision. Elle n’était pas d’humeur à lire, écrire, chanter, danser, écouter de la musique, vivre, être libre… Elle était juste d’humeur à s’envoler, loin, très loin. S’envoler et retrouver sa mère, vivre heureuse. Se suicider ? Elle n’en était pas d’humeur non plus. Elle se décida donc à se diriger vers son lit et dormir. Dormir longtemps, très longtemps. Espérer que son père serait la quand elle se réveillerai, espérer qu’il s’excuserait et qu’il lui préparerait un thé chaud, brûlant, même. Espérer. Et dormir. Voilà ce qu’elle avait à faire. Ce n’était pas grand-chose. Elle y arriverait sans grands problèmes. Mince ! Elle n’avait pas prévenu son père de son départ ! Oh et puis, tant pis… Ce n’était pas très important. Elle sentait ses paupières lourdes qui ne demandaient qu’à êtres fermés. Elle ne le fit pas. Elle avait peur. Peur d’être partie alors que son père était en danger. En danger ? Mais pourquoi pensait-elle à ça, elle ? Elle essayait tant bien que mal de s’avouer qu’il avait juste mit un peu de temps à faire les courses, c’est tout. Oui, bon, beaucoup de temps, c’est vrai. Mais pourquoi cette homme lui avait-il interdit l’entrée ?! Au plus profond d’elle, Mary sentait comme une boule qui risquait d’exploser, comme une partie d’elle-même qui était persuadée que son père était en danger. Prise d’une soudaine panique, elle ne sut quoi faire. Y retourner ? Il serait sans doute trop tard ? Attendre ici que le téléphone sonne pour annoncer que son père était mort. Ou simplement attendre éternellement. Non, elle n’avait pas le droit de faire ça. Même si elle arrivait trop tard, li fallait qu’elle y retourne, qu’elle se batte contre cet homme s’il le fallait mais elle n’abandonnerait pas son père de cette façon, non. Elle ne l’abandonnerai pas tout court ! Elle enfila son manteau et ses chaussures, descendit les escaliers à une vitesse ahurissante, ne prit même pas la peine de fermer la porte derrière et courut. Courut, courut, comme elle n’avait jamais courut. Courir c’est tout ce qu’il fallait faire. À chaque pas, elle accélérait. Elle était furieuse, elle était honteuse, elle était triste. Ses yeux se remplissaient de larmes sans jamais pour autant que celles-ci coulent. Elle courut. Mais en chemin, cette boule dans son ventre explosa. Son père était mort, elle le savait. Mais elle ne ferait pas demi tour. Au contraire, elle courut, plus vite encore qu’elle ne l’avait jamais fait, elle accéléra encore, elle filait comme une flèche. A cette vitesse, elle aurait put être championne olympique de course à pied sans problèmes ! Enfin, elle arriva devant cette fameuse épicerie. Elle avait perdu sa mère dans un parc pour enfant. Elle venait de perdre son père dans une épicerie. Pourquoi la vie s’acharnait-elle à ce point sur elle, Mary Alysson Henbridge ? Qu’avait-elle fait pour mériter ça ?

La porte de l’épicerie était fermée. Le soir était en train de tomber. Elle frappa de toutes les forces qui lui restaient encore dans le corps sur la vitre de la porte. Elle frappa, comme elle avait couru. Son père, il ne lui restait plus que lui. Elle le vengerait. Elle tuerait les personnes qui avaient osé lui enlever l’être qui lui était désormais le plus cher au monde. Elle le jura. Tout à coup, devant la porte apparut un homme, le même homme que celui qui l’avait empêché de passer. Mary croyait qu’elle avait atteint son niveau maximal de colère. Elle se trompait. En voyant apparaître le visage de cet homme qui lui adressa un sourire narquois, elle prit un objet dans la rue, le premier qu’elle trouva, sans savoir se que c’était et le balança sur la vitre qui se brisa aussitôt. Elle entra. L’homme essaya de l’en empêcher. Deux autre hommes vinrent à sa rescousse. Mais Mary était devenue surhumaine. Rien ni personne ne l’arrêterait. Elle courut dans toute l’épicerie et se lança dans la recherche désespérée de son père. Il n’était pas là. Il ne restait qu’une seule solution : la réserve. Une fois encore, l’homme lui barra l’entrée de la réserve. Les autres vinrent derrière Mary, prêts à l’attraper. Ils ne l’attraperaient pas. La réserve se trouvait juste au bas d’un escalier en colimaçon, dont l’homme barrait l’entrée. Elle le percuta en le poussant de toutes ses forces. Il tomba et se cogna la tête contre le mur, puis, ne donnant aucun signe de vie, Mary conclut qu’elle l’avait tué. Pas un signe de remord, aussi petit soit-il, lui apparut sur le visage, ni à l’intérieur. La guerre avait commencé et elle ne finirait pas avant qu’elle ait tué toutes les autres personnes se trouvant là aussi. Les deux autres hommes s’étaient lâchement enfuis. Tant pis. Elle descendit les marches de la réserve, enjamba le corps sans vie de l’homme qu’elle avait tué et chercha son père des yeux. Son sœur battait plus vite qu’il n’avait jamais battu. C’était calme, très clame. Trop calme à son goût. Soudain elle vit son père, là, laissé pour mort dans une grande caisse parmi les clémentines et les oranges. Son visage s’adoucit, étrangement. Elle se jeta sur lui, lui serrant la main, l’embrassant sur la joue encore chaude, mais ne réussit pas à pleurer. Un homme apparut, sorti du coin de la réserve, caché, apparemment, derrière une grande caisse de légumes. Il sourit narquoisement comme le précédent même plus encore. Un sourire heureux, triomphant. Il avait un visage pâle, les traits creusés. C’était lui, le meurtrier de son père. Mary ne fit rien, elle ne bougea pas, elle resta là, tenant la main de son père, à regarder l’homme qui partait, triomphant. Elle n’oublierai jamais ce visage…

Ça s’était passé il y a 1o ans…

Les policiers étaient venus la chercher, alors qu’elle avait 24 ans. Elle en prit pour perpétuité. Mais la prison, elle ne la craignait pas. Elle avait accompli ce qu’elle avait promis d’accomplir. Depuis ses 14 ans, elle ne vivait que pour ça. C’était terminé. Elle avait réussit. Sa vie n’avait plus aucun sens désormais. Elle n’avait jamais comprit qui étaient ces gens, pourquoi ils avaient tués son père, pourquoi ce dernier ne voulait-il pas qu’elle vienne avec lui ce jour-là. Toutes ces questions demeureraient sans réponses…

« Voilà, tu connais mon histoire. Tu sais maintenant comment et pourquoi je me suis retrouvée ici et ça me fait plaisir d’en parlé à quelqu’un. Si, ça m’a fait plaisir… »