Premier verre de la soirée et déjà un talon d'abîmé. [pv]

« Lui, il est mignon. Mais totalement inutile… Bon, je le garde quand même, il a une belle gueule. »

Rose faisait le tri dans le répertoire de son portable, se demandant à chaque nouveau nom qui pouvait bien être la personne, et en en supprimant peut-être autant qu’elle possédait de chaussures – non, peut-être pas. Il lui fallait veiller à garder le maximum de contacts car qui l’appellerait pour l’inviter à une nouvelle fête ? Et ce fut justement quand elle se posait cette question fondamentale que sa sonnerie retentit. Elle jeta un rapide coup d’œil au prénom de son interlocuteur ; il s’agissait justement du jeune homme auquel elle était en train de penser trente secondes auparavant. Elle prit une voix enjouée tout en s’écriant gaiement

« Oh, chéri, ça fait si longtemps que j’ai pas eu de tes nouvelles ! Ca va sinon ? […] Moi ? Oui oui, génial, je reviens tout juste d’un rdv avec un journaliste… […] Oui, tu sais ce que c’est, toujours les mêmes questions qui reviennent… Êtes vous en couple avec machin, quand vous déciderez vous enfin à annoncer au public la vérité, êtes vous anorexique, vos problèmes de drogue s’arrangent-ils… […] »

Après avoir débité tout son petit discours retraçant ses déboires journalistiques et démontrant par a+b à quel point c’étaient tous des cons, Craig – car c’était là son prénom – lui proposa d’aller la rejoindre en boîte « avec la bande » ce soir. Ce soir ? Mais c’était une excellente idée, elle n’avait rien de mieux de prévu et de toute façon, il fallait qu’elle s’affiche pour ne pas perdre une once de popularité. Malgré le fait qu’il soit assez tôt, elle se rua vers son dressing et, comme une folle enragée, jeta à terre une bonne partie de ses vêtements, ne trouvant rien à son goût. Pourtant, ça n’était pas la quantité qui manquait, ça s’étalait sur deux pièces archi pleines. Avec tout l’argent qu’elle claquait en fringues, elle pouvait bien se trouver quelque chose… En sous-vêtements, une clope à la bouche et presque en pleurs tellement cette situation l’exaspérait, Rose faisait très « fille riche pourrie par le fric », ce qui améliora un peu son humeur, mais pas assez pour la calmer totalement.

Puis, une fois qu’elle eut trouvé quelque chose de potable parmi toutes ses fringues de luxe, elle attendit quelques minutes, assise sur le canapé en cuir de sa chambre, toujours en sous-vêtements. Il fallait qu’elle décompresse. Qu’elle arrête de criser pour un rien. Elle but une gorgée du verre de whisky qu’elle tenait dans sa main droite, avant d’aspirer une bouffée de nicotine. Puis elle fit des ronds avec la fumée, et estima qu’elle était calmée. Elle se releva donc et s’habilla, avant de se faire un brushing et de se maquiller. Elle jeta un œil à son portable, vit qu’elle avait trois appels en absence, lesquels elle ne se priva pas d’envoyer mentalement se faire foutre, puis enfila les escarpins assortis à son fard à paupière avant d’appeler son chauffeur pour qu’il vienne la chercher TOUT DE SUITE. Elle n’attendrait pas, il en était hors de question.

Elle était bien contente d’elle, d’être présente à cette soirée, car dans ces lieux tout ce qu’il fallait c’était voir et être vu, et elle ne manquerait pour rien au monde de se faire remarquer. Une fois arrivée en boîte, après avoir pété une crise dans la limousine à cause de son chauffeur qui l’avait faite patienter, Rose se dirigea en bonne habituée vers le bar, histoire de commander quelque chose pour se chauffer un peu. Elle n’eut même pas le temps d’aller rejoindre ses amis au carré VIP qu’elle marcha involontairement sur les pieds d’un jeune homme – assez mignon, d’ailleurs – le pauvre, se prendre des talons de 7 centimètres entre les orteils…

- Aïaaaaaaaaaaaaaaaaaaah ! fut le cri qu’émit James en sentant une aiguille se planter sur ses orteils droits. Il se pencha et saisit son pied pour le compresser avec ses mains, histoire d’atténuer la douleur. Il avait mal, mais son cri avait été couvert par la musique, donc seulement une partie des clubbeurs l’avait entendu. Parmis lesquels un de ses amis qui avait manqué de s’étouffer en l’entendant.

- Putain ! James, mais t’es fou ou quoi ? T’m’as foutu une de ses trouilles !

James lui lança un regard meurtrier en se tenant le pied et en grimaçant. Il se tourna vers la jeune fille propriétaire de l’aiguille qui avait manqué de lui transpercer le pied. Elle était plutôt mignonne. Mais ne s’était pas excusée. James reposa son pied par terre et parvint à maîtriser sa grimace.

- J’crois qu’il faudrait y aller avec un sécateur mademoiselle, si tu veux me couper les orteils… L’aiguille, c’est pas assez ! affirma-t-il, avec un petit rictus après. Bon, d’accord, c’était pas forcément drôle. Mais au moins, il ne l’avait pas frappée ou autre geste impulsif. Il se marcha sur le pied histoire d’atténuer encore l’afflux de sang dans les orteils qui pompaient de douleur.

Il n’avait pas parlé très fort, néanmoins il considérait ça comme assez fort pour qu’elle l’entende. Puis, il n’allait pas l’excuser parce qu’elle était une célébrité, il ne la connaissait pas. C’était un journaliste sportif, il connaissait la tête du champion du monde du ‘coupage de bois’, il connaissait la tête du champion du monde de Air Guitar, mais il arrivait pas à mettre un nom sur la jeune demoiselle en face de lui. Bref.

- C’était exprès pour attirer mon attention sur tes magnifiques chaussures et tes jolies jambes ou c’était pas exprès et je me baffe pour ma remarque indiscrète sur tes jambes ? affirma-t-il d’un air détendu. La douleur semblait passée. L’ami de James s’appuya contre le bar histoire de contempler la scène, comme au cinéma. James face à une jolie demoiselle, c’était pas souvent. Mais son manque de maturité semblait les chasser, il allait bien noter la réaction de la demoiselle…

Le cri que le jeune homme avait émit fit sursauter Rose, qui, malgré le bruit ambiant l’avait nettement perçut. Ainsi que la réaction d’une autre personne, elle aussi du sexe masculin, qui semblait le connaître. Il s’appelait James, alors. Mais après tout, ça n’était qu’un détail et mademoiselle Rose n’était pas du genre à se focaliser sur des choses aussi futiles que les prénoms des hommes sur qui elle avait marché… Il y en avait bien trop. D’ailleurs, elle l’avait déjà oublié.

Alors qu’elle prenait son verre, que le barman venait de déposer sur le comptoir, et qu’elle allongeait la monnaie, il crut bon d’ajouter quelque chose. Elle faillit l’envoyer boulet mais étonnement, ce qu’il dit la fit rire et elle tourna la tête vers lui avec un sourire, tout en portant son verre à ses lèvres. Elle avala une gorgée de son alcool et répondit avec un petit air malicieux

« Excuse moi, c’était pas volontaire… Enfin, j’y penserais la prochaine fois, merci du conseil. »

Elle avait dit « excuse moi » et « merci » dans une même phrase alors qu’elle ne s’excusait et ne remerciait absolument jamais. C’était quelque chose qui lui était passé avec l’arrivée de la célébrité… Bref, elle porta son regard sur lui et alors qu’elle allait définitivement s’éloigner pour rejoindre ses « amis » au carré VIP, là où elle se devait d’être pour pouvoir augmenter sa popularité, il ajouta encore quelque chose, et elle se décida une bonne fois pour toute à ne pas bouger tant que cette « discussion » ne serait pas terminée. Après tout, peut-être qu’elle était un peu trop calculatrice mais, si jamais un ou deux paparazzis étaient dans le coin, ça ferait toujours du bien à son image qu’ils la voient en train de discuter avec un inconnu. Car les médias avaient tendance à s’acharner sur la pauvre Rose, en ce moment, à la décrire comme une garce insupportable et folle à lier, qui vous pétait des crises de nerfs tous les quarts d’heures et qui ne parlait qu’aux gens qui pouvaient lui servir.

Elle éclata d’un rire franc et cristallin à la remarque qu’il venait de lui adresser. Cela faisait longtemps que quelqu’un ne s’était pas adressé à elle comme ça, d’habitude tout n’était qu’une question de popularité et d’apparence (d’ailleurs, ça l’était encore, à en croire les arrières pensées de Rose), mais lui ne s’était pas tout de suite écrié « Rose Carter ! Ici ? Mais comment ! Et pourquoi pas au carré VIP ? Aaaah, je peux avoir un autographe ? Non, vraiment, c’est un coup de bol de vous croiser là… quand j’le dirais à Machin, qui m’attend là-bas… Va pas l’croire, c’est sur. ». C’était d’un côté très frustrant qu’il ne l’ait pas tarie d’éloge sur son nouveau film (en même temps il n’était pas encore sortit en salles) mais c’était surtout pour une fois soulageant d’être considéré comme quelqu’un de normal. Mais après tout, Rose se montait trop la tête, car n’était-elle pas pourtant (à peu de choses près) l’exemple même de la normalité ? (Vraiment peu de choses, pourtant…)

Elle baissa les yeux sur ses chaussures car elle avait déjà oublié lesquelles elle avait mit puis remonta le regard sur ce jeune homme dont elle avait déjà oublié le nom mais qu’elle trouvait pourtant adorable. Et, avec un petit rire, elle répondit, tout sourire :

« T’es mignon toi… Je t’aime bien, je te paye un verre ? »

Après tout, les autres pouvaient bien l’attendre, là haut dans leur sphère réservée aux people…

La jeune demoiselle qui avait manqué de l’amputer d’un orteil par ses talons semblait pas très enclin à taper la discussion avec un type comme James. A première vue. Elle réagit à ses deux remarques – Remarques qui étaient venues naturellement couler à travers les lèvres de James. C’était sa nature, sa manière d’être. Il enfonça sa main droite dans la poche de son jean à l’apparence usée, et passa son autre main dans ses cheveux blonds. Il lança même un regard à son pote qui semblait apprécier la scène, mais fut pris dans son élan par la jeune demoiselle qui répondait à sa première remarque. Un sourire s’étira sur ses lèvres. Elle avait l’air peu habituée à plaisanterie gamine dont faisait preuve James.

Son rire le fit frissonner. Il n’avait absolument aucune idée de qui elle pouvait être. Ca existait les gens comme lui ? Les gens qui connaissaient pas la dernière star du show-business, qui ne savait pas qui était le meilleur acteur des US ? Et ben ouais : James Nielsen. Et son copain aussi, apparemment, qui aurait certainement essayé de faire une touche sur elle s’il avait su qui elle était. Quoi qu’il en soit, pour ce qui était de l’esprit de James, c’était simple : C’était une fille comme les autres. Un peu bizarre, certes, mais une fille comme les autres. Savoir qu’elle était à l’affiche du dernier film du mois ne lui frôla pas même l’esprit…

« T’es mignon toi… Je t’aime bien, je te paye un verre ? »

Haussant un sourcil, James regarda la jeune fille.

- Euuuh … Ouais, j’veux bien ! J’suis un peu … pockets empty ! fit-il en tirant les poches de son pantalon et rentrant la tête dans les épaules. Comique ou pas, à vous de juger. Il sourit à la demoiselle et s’approcha d’elle, faisant chut à son ami qui allait lancer une remarque, il lui fit signe de se casser draguer une autre fille dans le coin de la boîte. Rapide, efficace, il était tout seul.

Il s’installa au bar et posa sa tête sur son poing en regardant la tête de la jeune fille. Maintenant qu’il la regardait de plus près, il lui semblait l’avoir déjà vu. Il songea que c’était un effet de la lumière et délaissa la préoccupation, commanda un Coca Cola classique, et regarda encore une fois la jeune fille :

- Si t’as rendez vous autre part, j’veux pas te garder hein… Une fille comme toi dois certainement d’jà avoir des potes qui l’attendent à l’autre bout de la salle ! Moi j’ai que l’aut’ imbécile là… fit-il en souriant. Il disait ça pour lancer la conversation, et il n’avait absolument aucune idée que c’était peut-être le cas. Il n’avait pas non plus songé à ce qu’elle était une star et qu’elle se dirigeait vers la zone V.I.P du club.

- Merci pour le soda ! fit-il avec un petit clin d’œil à son intention. Innocent, et bête. C’était deux adjectifs tout à fait appropriés. Le DJ du club changea de disque, et James se mit à bouger la tête en tact avec la musique, sans s’en rendre compte. Il aimait bien la chanson ! Pas sa faute ! Il délaissa la paille qu’il avait été en train de mordiller pour balancer la tête de droite à gauche après l’avoir fait pulser sur le beat de la chanson. Il s’en foutait de ce que pouvait penser les gens autour de lui : ‘I don’t know them, they don’t know me’. C’était son crédo, et il l’appliquait tant qu’il le pouvait.

Finalement vint le moment où il se rendit compte qu’il était en train de laisser aller sa tête à la musique et il afficha un sourire, sentant le sang lui monter au joues. Il prit la parole afin de s’excuser :

- D’solay, vieille habitude de copains…